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Le Salon

Chaque trimestre, L'Aède propose un sujet de réflexion à un professionnel, afin d'ouvrir un forum à des idées et des pratiques qui concernent le secteur du Patrimoine français.

Voici les voix de celles et ceux qui le portent, le protègent, l'animent et le transmettent 

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Partenariats

Les collaborations de marques : des outils pour les lieux culturels

Entretien de Mélissa BEAUMONT,

Chargée de Développement et Partenariats Marque

Propos recueillis par Laura DUPUI

 Les marques, y compris les plus populaires, ont besoin des collaborations pour donner un coup de fouet à leur offre commerciale et un regain d'attention.

Même les marques de luxe ont recours aux partenariats.
 

" Ma grand-mère m’a initié à l’Art. Elle était artiste peintre et possédait sa galerie d’art à Saint-Rémy-de-Provence (13). Je me suis alors passionnée pour la Culture dans son ensemble et quand je suis arrivée à Paris, pour mes études, j’ai été subjuguée par la profusion des musées, la diversité des expositions et des collections et leur gratuité.

Après mon Master en Marketing et Communication, j’ai travaillé dans l’agence marketing McDonald’s, puis à Disneyland Paris et ces expériences très enrichissantes m’ont mis le pied à l’étrier dans le domaine des partenariats.

 

À la fin de mon cursus, je suis entrée au château de Versailles, en tant que Chargée de Marque & Concessions, où j’ai découvert une importante variété de métiers et des gens passionnés et passionnants. Puis, je suis arrivée au Moulin Rouge et cette grande institution parisienne me permet, elle aussi, de côtoyer des maisons d’art et des savoir-faire incroyables".

Avant d’entrer plus dans les détails des partenariats, pouvez-vous nous expliquer en quoi ils consistent ?

Il existe en effet différentes sortes de partenariats, mais je parlerai principalement des concessions et des licences, qui se déploient de plus en plus dans le secteur culturel. La plupart des institutions culturelles (musées et châteaux notamment) ont développé leur marque : le musée d’Orsay, le château de Versailles, le Louvre, le château de Chambord… Et dans ce cadre, elles sont amenées à commercialiser des produits et des offres.

Les concessions immobilières consistent en la location d’un espace, au sein même de  l’institution culturelle, à une marque qui va exploiter le lieu. Par exemple, au château de Versailles, les visiteurs rencontreront des points de vente Ladurée et un restaurant Angelina : il s’agit de concessions.

La licence, quant à elle, est l’association de deux marques dans le cadre d'une création collaborative (produit, événement, expérience…). Cette collaboration donne lieu au versement d’une royauté, au titre de l’exploitation de la marque. Je pense notamment aux thés Twinings qui se sont associés au Victoria & Albert Museum à Londres, ou à la collaboration de LEGO avec le musée Van Gogh d’Amsterdam.

- Et comment les institutions culturelles choisissent-elles leurs partenaires ?

Dans le cadre des concessions, on passe par des appels d’offres. Chaque espace de l’institution a une vocation, on sait quel lieu sera une boutique ou un commerce de bouche, par exemple et donc on en octroie l’exploitation à des partenaires extérieurs. Mais il est aussi possible de lancer des appels à projets, pour que les marques fassent des propositions : c’est une bonne façon de renouveler les idées et de s’ouvrir à de nouvelles perspectives.

Chacun est libre de candidater et évidemment l’aspect financier sera évalué, mais il est essentiel que la marque partenaire respecte les lieux et qu’elle s’intègre parfaitement à l’institution culturelle et sa philosophie. Il faut qu’elle prenne en compte le public qui fréquente le musée ou le château ainsi que son environnement. Quand Ladurée est arrivé au château de Versailles, il y avait un véritable enjeu d’intégration visuelle et le résultat est une réussite.

Quoi qu’il en soit, même pour les licences, l’image de marque est primordiale !

- En parlant d’aspect financier, est-ce que ces partenariats n’incitent pas les lieux culturels à devenir plus « commerciaux » ?

Je ne pense pas, car ce n’est pas nouveau : la valorisation à travers les licences de marques existe depuis de nombreuses années, mais on a réellement pris conscience de son potentiel pendant la crise de la Covid-19, alors qu’on ne pouvait plus se reposer sur la billetterie.

À titre d’exemple, en 2020 au château de Versailles, la vente des produits sous licence a généré un chiffre d’affaires de 155 000€ et en 2022, ce chiffre est monté à 386 000€ (ces montants correspondent aux ventes effectuées au château, mais également dans les points de ventes des marques partenaires).

Au musée d’Orsay, le chiffre d’affaires des licences correspondait à 72 000€ en 2021 et il a plus que triplé en 2022, pour atteindre un montant de 250 000€. Il est donc devenu difficile d’ignorer cette ressource qui est facile à exploiter, d’autant plus que toutes les institutions culturelles s’y mettent. C’est un complément de revenus.

En aucun cas les lieux culturels ne perdent de vue la valeur patrimoniale de leurs collections ou de leurs espaces, au contraire, ils protègent l’essence de ceux-ci et ils attendent le même niveau d’exigence et de respect de la part de leurs partenaires.

- Quels sont les avantages de ces partenariats ?

Qu’il s’agisse des concessions ou des licences, ce sont des leviers, autant pour les institutions que leurs partenaires.

 

L’institution peut se reposer sur le savoir-faire de son partenaire : dans les concessions, l’espace confié est géré par une marque compétente qui connaît son métier (je pense surtout aux restaurants et aux normes alimentaires) et dans le cadre d’un partenariat sous licence, le partenaire va mettre à profit son expertise pour le développement de produits ou d'expériences.

Et les marques y sont également gagnantes : elles vont trouver dans les lieux culturels et leurs œuvres une source d’inspiration intarissable, qui va permettre de très belles créations et le rayonnement de ces lieux exceptionnels va propulser les ventes.

Et c’est aussi une opportunité pour étendre sa clientèle.

En effet, la licence permet une double commercialisation : l’institution culturelle va vendre les produits de la collaboration dans ses boutiques (et ainsi toucher son public régulier), mais ils seront également commercialisés dans le réseau de vente des partenaires. C’est donc un véritable outil de démocratisation culturelle, car le public étranger au musée, par exemple, est touché grâce au réseau de vente des partenaires. Et inversement, un visiteur du musée peut découvrir une marque par le biais de la licence.

- Les partenariats sont donc un outil de valorisation de la créativité des parties prenantes ?

Effectivement, la désirabilité est très travaillée, car les collaborations ont un rayonnement important, parfois international, y compris pour de petites institutions. On se rend compte que celles-ci sont de plus en plus sélectives dans le choix de leurs partenaires, car les collaborations deviennent un atout stratégique.

Selon la ligne choisie, celles-ci vont soit dans le sens de l’institution ou alors elles vont être décalées, pour créer un effet étonnant. C’est le cas des montres de la collection Swatch x You, inspirées des décors du château de Versailles : l’horlogerie revêt une importance particulière au château et le fait d’avoir associé ce savoir-faire ancestral à une marque moderne aux couleurs pétillantes a vraiment produit une gamme fun et inattendue.

Deux ans plus tôt, le musée Van Gogh d’Amsterdam avait aussi choisi une collaboration étonnante avec Pokémon, en hommage aux inspirations japonaises du peintre. L’idée était de rassembler un public plus jeune autour des toiles du maître, en dynamisant le parcours de la visite.

Au final, même quand la création paraît décalée, il y a toujours un fil conducteur et c’est ce qui fait tout le sens des partenariats :

s’il n’y a pas de sens, le public n’accroche pas et c’est un échec !

- Pour conclure, selon vous, quels sont les exemples de partenariats qui ont ravivé les couleurs des institutions culturelles ?

J’aime penser que tous les partenariats qui mettent en avant des savoir-faire exceptionnels sont des réussites.

Le lien entre les parties prenantes peut, ou non, être historique : à Versailles, la cristallerie Saint-Louis est devenue verrerie royale par lettre patente de Louis XV en 1767, il était donc impensable de ne pas s’associer avec elle pour une licence avec le château.

Le macaron semblait aussi complètement à sa place, puisqu’il était très apprécié à la cour (Louis XIV en aurait d’ailleurs reçu en cadeau lors de son mariage à Saint-Jean-de-Luz en 1660)[1].

L’Opéra de Paris met également en valeur ses atouts, comme la qualité de son acoustique, grâce à son partenariat avec les enceintes Devialet. On pourrait évoquer une autre belle collaboration : celle du Louvre et de la marque de cosmétiques Lancôme, qui a mis en scène des célébrités telles que Zendaya pour faire dialoguer les palettes de la beauté, de l’Antiquité à nos jours.

Au-delà du simple aspect financier, les partenariats avec les institutions culturelles sont des gages de qualité : on y partage des savoir-faire, des territoires d’expertise, beaucoup de créativité et de nouvelles idées.

 

.....​

[1] Néanmoins, au XVIIe siècle, il n’avait pas du tout la même forme et la même saveur : il s’agissait d’un biscuit à base de poudre d’amande. Le macaron tel que nous le connaissons aujourd’hui, le macaron « parisien » a été inventé par Pierre Desfontaines, petit-cousin de Louis-Ernest Ladurée. C’est Sofia Coppola, dans son film Marie-Antoinette (2006), qui fait le choix artistique (mais anachronique) de représenter la reine avec la version moderne de ce gâteau devenu emblématique.

Urbanisme

La réglementation : partenaire de l'architecture de territoire

Entretien d'Isabelle PIRES, Chef de service Urbanisme

Propos recueillis par Laura DUPUI

Ce que j’aime dans mon métier,
c’est cet équilibre entre la technique,
le droit
et la vision au service d’un territoire
vivant et riche
par son patrimoine.
 

" J’ai toujours été très intéressée par l’aménagement du territoire et la manière dont les choix d’urbanisme façonnent notre cadre de vie. Après 25 années d’expérience dans la gestion financière et les marchés publics, j’ai ressenti le besoin de me recentrer sur un domaine plus en phase avec mes aspirations. C’est dans ce contexte que j’ai décidé de me réorienter vers l’instruction des autorisations du droit des sols (ADS).

Mon parcours dans ce domaine a débuté en juin 2015 au sein du Service départemental de l’Ariège. Après cinq années d’instruction, j’ai rejoint la Communauté de Communes de Terres de Lauragais, où j’ai évolué jusqu’à devenir responsable du service en janvier 2023.

Le métier d’instructeur est bien plus qu’une lecture réglementaire : il implique une grande rigueur juridique, une compréhension fine des textes (Code de l’Urbanisme, du Patrimoine, de l’Environnement, jurisprudences…), mais aussi une vraie sensibilité architecturale et paysagère".

​- Le patrimoine est justement ce qui nous intéresse. Pouvez-vous nous expliquer comment il se caractérise ?

Avant de répondre concrètement, il me semble important de faire un bref retour historique. La notion de protection du patrimoine en France remonte à la Loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques. Elle marque un tournant fondamental dans la reconnaissance de la valeur patrimoniale de notre cadre bâti.

La protection des abords des monuments historiques a été précisée par la Loi du 25 février 1943 avec l’instauration d’un périmètre de 500 mètres autour d’un bâtiment classé ou inscrit, dans lequel tout projet est soumis à l’avis de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF). Ce périmètre est désormais reconnu comme une servitude d’utilité publique (SUP) et est intégré dans les documents d’urbanisme.

Deux types de périmètres coexistent aujourd’hui :

  • Le périmètre de 500 m « automatique » (hérité de la Loi de 1943)

  • Le périmètre délimité des abords (PDA) instauré par la Loi du 7 juillet 2016 (Loi LCAP) qui peut remplacer le périmètre « automatique » et être mieux adapté au contexte urbain ou paysager.

 

Par ailleurs, on distingue :

  • Les sites inscrits, qui font l’objet d’une surveillance, sans mesures trop contraignantes ;

  • Les sites classés, dont le caractère remarquable impose une préservation stricte, notamment pour leur valeur paysagère.

  • Il existe aussi les « Sites Patrimoniaux Remarquables » (SPR) qui remplacent depuis 2016 les secteurs sauvegardés, AVAP et ZPPAUP. Un SPR est un périmètre à l’intérieur duquel s’applique un règlement tel qu’un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) ou un plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine (PVAP).

- Effectivement, cela semble complexe, et est-il possible d’effectuer des travaux dans un site classé ?

Oui, bien sûr. Le patrimoine est loin d’être figé, contrairement à ce que l’on croit parfois. La réglementation n’est pas un frein à l’innovation ou à la réutilisation, mais un cadre de qualité. En effet, pour conduire, il faut faire des démarches administratives, et respecter le Code de la route. Pour réhabiliter, aménager, construire, c’est la même chose, mais il faut respecter le Code de l’Urbanisme et quand il s’agit de patrimoine, le Code du Patrimoine vient se rajouter.

Prenons un exemple : aujourd’hui des châteaux classés s’ouvrent à de nouveaux usages : hôtellerie, restauration, salles de spectacles grâce à des projets accompagnés et encadrés, validés par l’État ou le préfet selon le niveau de protection.

Les règles n’empêchent pas les projets qualitatifs, et même innovants, elles sont justement là, pour préserver la qualité paysagère et architecturale du monument et de ses abords, mais aussi pour éviter les constructions, les réhabilitations inappropriées ou dégradantes. Elles guident le projet dans une logique de respect du « génie du lieu » !

- Et si la réglementation devenait un levier culturel ?

Je partage totalement cette idée. La réglementation est un outil culturel fort. Oui, elle devient un support de médiation, un levier plein de sens. C’est d'ailleurs le travail des Architectes des Bâtiments de France et des instructeurs de la CDNPS (Commission départementale de la nature, des paysages et des sites) de maîtriser l’histoire des lieux classés/inscrits de leur département, leurs savoir-faire et les matériaux traditionnels, notamment. Quand ils demandent par exemple un enduit à la chaux, avec un type de sable, ou la restauration d’une fresque de telle manière, ce n’est pas un « caprice technique ». C’est, je dirais, un acte de transmission, un hommage rendu à une architecture de territoire.

Dans ma collectivité, nous avons le canal du Midi, classé au patrimoine mondial de l'UNESCO, où les maisons éclusières sont restaurées avec respect, tout en étant réhabilitées en musées, cafés ou espaces culturels. Ce sont des lieux vivants, ouverts et porteurs de mémoire. Alors certes, les travaux restent coûteux, mais quelle satisfaction de voir que l’histoire du bâti est préservée !

- Concrètement, que peut-on faire dans un monument historique ?

La réponse est simple : beaucoup de choses ! Mais à condition de se faire accompagner.

Le bon réflexe, c’est de consulter le maire, le service instructeur, puis l’Unité Départementale de l’Architecture et du Patrimoine (UDAP) où exercent les Architectes des Bâtiments de France et les instructeurs de la CDNPS (si le site est classé) en amont du dépôt du dossier.

Trop souvent, des demandes arrivent incomplètes, ou sans anticipation, et nous sommes contraints de prolonger les délais d’instruction (jusqu’à 8 mois en site classé par exemple).

L’instruction n’est pas là pour sanctionner, mais pour créer du dialogue. Quand un projet n’est pas cohérent, nous proposons fréquemment au pétitionnaire de le retirer, puis de revenir avec un dossier adapté, après échanges avec les divers partenaires. L’idée, c’est que la règle devienne un partenaire du projet.

- Et le patrimoine « ordinaire » ?

Ce patrimoine que l’on appelle parfois le patrimoine vernaculaire ou du quotidien, est aussi très important. Sur notre territoire, les fermes lauragaises en sont un très bon exemple. Elles ne sont ni classées ni inscrites, mais elles ont une forte valeur d’identité locale.

Dans ces zones, souvent agricoles, les règles sont moins contraignantes, mais notre exigence, elle, doit rester élevée. C’est là que le rôle de conseil prend tout son sens et que lors de modification ou de révision de documents d’urbanisme, nous essayons de réglementer au mieux ces éventuels projets de restauration.

D’ailleurs, je recommande souvent aux porteurs de projets de consulter le Conseil d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE). Ce sont des experts passionnés, accessibles et leur service est gratuit. Ils aident à faire émerger un projet cohérent avec son environnement et c’est un vrai atout.

- En conclusion, que souhaiteriez-vous dire ?

Que le patrimoine n’est pas un carcan, mais au contraire une ressource vivante qui, bien accompagnée, peut devenir un formidable moteur d’innovation, de mise en valeur du territoire, et même d’attractivité économique et touristique. D’ailleurs, les documents SUPRA aux documents d’urbanisme organisent les territoires dans cet état d’esprit. Nous devons conserver la même rigueur d’instruction pour l’ensemble du patrimoine qui nous est cher et dont nous devons être respectueux.

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